Obama, le touriste de l’Orient-Express

Par Moussa Bk – 29 mars 2013

Source : wmaker.net/thouretacash/photos/

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« Vers l’Orient compliqué, je volais avec les idées simples ». On pourrait croire à un saut dans le futur formulé par Obama. Éternel recommencement, l’actualité au Proche-Orient nous ramène pourtant un demi-siècle en arrière, dans les Mémoires du général de Gaulle. Si un monde littéraire et politique sépare le Président défunt de l’actuel leader nord-américain, l’épreuve du conflit israélo-palestinien leur est certainement commune. L’auteur de l’Audace d’espérer a effectivement tenté de promouvoir une nouvelle vision des relations internationales : teintée d’« empathie », de cosmopolitisme et même de multilatéralisme, sa politique étrangère visait notamment l’instauration d’une paix juste et durable au Moyen-Orient. Un renouveau américain en somme.

Élu le 4 novembre 2008, Obama passe rapidement des écrits aux récits: de Berlin au Caire, en passant par Accra, l’audience générale est systématiquement envoûtée. Le charme opère surtout là où la rupture flagre : en la matière, la politique étrangère siège au rang des attraits majeurs. Obama entend retirer les pions américains de l’échiquier moyen-oriental là où son prédécesseur les avait avancés: les garde-fous militaires stationnés en Irak plieront bagage avant le 1er janvier 2012. Quant à ceux présents en Afghanistan, seul un changement de statut leur sera concédé en 2014 : de «combattants» ils seront relégués au simple rang d’«assistants». En ligne d’horizon, l’introuvable paix en Orient semble plus que jamais proche. Prochaine prophétie obamanienne: trancher le nœud gordien qui «tisse» les deux parties de Jérusalem.

Obama, Israël et la Palestine : la rupture discursive

Pour ce faire, il s’emploie d’abord à faire vibrer les murs de l’Université du Caire: le 4 juin 2009, à coups de versets coraniques et de citations talmudiques, il exhorte les « deux peuples aux aspirations légitimes » à cheminer vers la paix. Aussi, consacre-t-il la rupture avec l’ère bushienne dans les enceintes onusiennes: par deux fois, le 20 septembre 2011 puis le 25 septembre 2012, il évoque l’impérative création d’un État palestinien, « prospère et indépendant ».

Rupture. Le terme est repris par tous les commentateurs, stupéfaits par le changement discursif qui s’opère à la Maison Blanche : les expressions « deux États côte à côte » et « paix » réunies dans la même phrase ne provoquent plus l’anxiété mais suscitent au contraire l’enthousiasme général. On débat alors des futures frontières, de la coexistence et l’on ose même évoquer la « fraternité » des frères ennemis, Israéliens et Palestiniens. Fixer des frontières, créer un État et démanteler les colonies, pourquoi pas ? Après tout, « Yes we can ».

Discours et réalité : l’oxymore permanent

Le hasard a malheureusement voulu que les écrits d’Obama soient précédés de ceux du Prince. Ainsi, Obama distribue du rêve cependant que Machiavel reste en veille. Comme Martin Luther King, Barack songe à de nombreuses choses ; à commencer par la fin de la colonisation. Peu avant son mythique discours du Caire, il décide de passer à l’acte : le 28 mai 2009, il somme Benjamin Netanyahou de geler toute implantation coloniale en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Durant dix mois, « Bibi » jouera le marchand de sable à moitié sourd, en optant pour le statuquo à Jérusalem-Est, avant de dégeler la situation. C’est le noir cauchemar à la Maison blanche.

Au second rêve préside le futur État palestinien. En mars 2010, Barack dépêche son colistier Joe Biden à Tel Aviv pour relancer les négociations indirectes. L’espoir renaît et Bibi accueille la nouvelle par l’annonce de 1600 futurs logements à Jérusalem-Est. Furieux, Obama réalise qu’un bras de fer s’engage entre le rêve américain et le « pragmatisme » israélien.

Entre les deux rêves,  tout porte à croire que Machiavel lui a rendu une visite secrète. Si Obama est impuissant, c’est probablement parce qu’il prépare déjà sa réélection en 2012, ce qui suppose un recentrage sur les questions nationales en même temps qu’une réaffirmation du lien « indéfectible » qui unit les États-Unis à Israël. En outre, sur la scène internationale, d’autres préoccupations occupent l’agenda du président américain : accélération du retrait des troupes américaines d’Irak ; poursuite de l’interminable processus de state-building en Afghanistan, nouvelle guerre antiterroriste au Yémen et enfin la vague de révoltes arabes. Difficile donc d’assortir les promesses d’actes concrets sur le terrain israélo-palestinien : aussi, les demande américaines de signature du Traité de Non Prolifération par Israël, de levée du blocus à Gaza et enfin de relance des négociations indirectes reçoivent-elles une fin de non-recevoir systématique. Entre un « Bibi » intransigeant et un « Mahmoud » posant le gel de la colonisation comme condition de sa présence à la table des négociations, Obama est pris entre deux feux.

Embellies pro-démocratiques et realpolitik : le dilemme américain

Obama ou Machiavel ? La schizophrénie croît. Il faut vite la fuir : lire d’autres points de vue sur la question, se rendre sur les lieux pour tenter d’évaluer la possible concrétisation du projet pacifique. On découvre alors une frontière matérialisée par un immense mur serpentant de part et d’autre de la ligne verte : « barrière de sécurité » ou « mur de séparation », le tracé de la frontière se noie dans un désert juridique mouvant. Ici et là, le dégel n’a pas su résister aux chaleurs estivales: les colonies poussent comme des champignons tandis que les check-points entrecoupent les axes de communication intercommunaux. De l’autre côté du mur, des cartographes palestiniens multiplient les tours de magie. Le plus récent consiste à extraire le territoire de facto palestinien d’une carte avant de le poser sur un fond bleu : c’est ainsi qu’émerge simultanément un minuscule archipel de villes et villages épars.

Évoquer la question avec des Israéliens est une mission quasi-impossible, tant la peur ambiante y est peu propice. La surmonter implique d’éteindre la télé, de ne lire quasiment aucun journal et surtout de rencontrer ces gens d’Outre-mur en dehors des heures de service militaire. Faire de même avec les Palestiniens implique qu’ils soient certains de parler à un « international » et non à un suppôt du Mossad; ce qui relève du miracle. Et lorsque l’exception se produit, Machiavel est la règle : ponts et murs sont viscéralement antithétiques. Un Etat palestinien ? Avec un Président illégitime depuis le 9 janvier 2009, un archipel terrestre difforme flottant dans un océan de colonies, une liberté de mouvement quasi-restreinte, des échauffourées « sporadiquement permanentes », sous le regard du « duo » Bibi-Abbas, on frise le délire oxymorique.

Le Président abdique face au Prince

Quatre ans après avoir rêvé, le président nord-américain semble s’être levé du mauvais pied. Si la réélection d’Obama a résisté au 21 décembre 2012, c’est malgré tout à la fin d’un monde que l’on assiste. Libéré du fardeau d’une troisième campagne électorale, Obama est pourtant au bout de ses peines voire « à bout » tout court. Mercredi 20 mars 2013, l’éternel rêveur a finalement pris place à bord d’un jet privé touristique : séjour express à Tel Aviv, Ramallah puis à Amman. Tel un explorateur, il semble déboussolé : visites sans projet, sans énième plan, mais toujours avec ses contes féériques en poche. Jeudi dernier, il réitérait encore l’éternelle lapalissade selon laquelle le conflit est une mauvaise chose car « la paix est la seule voie vers la vraie sécurité ». Discours naïfs omniprésents, gestes concrets absents, Obama a finalement abdiqué face à Machiavel : il ne choisit plus entre le bien et le mal mais « entre le pire et le moindre mal ». De surcroît, comparativement aux théâtres syrien, libyen (sans évoquer le scénario iranien en gestation), ce lopin de terre belliqueusement disputé importe peu.

Obama, vous ne pouvez pas. Le divorce est consommé. Il figurera prochainement sur la liste des vains espoirs, au même rang que l’UE et sa pseudo-politique étrangère. Comme elle, il trompe habilement par le verbe ambigu et abstrait. Comme elle, il vole les Prix Nobel face à une audience contrainte de croupir en salle d’attente. On se rassurera en pensant qu’un homme avertit en vaut deux. Plus que le cynisme, la naïveté est un fléau irrémédiable.

Parole de cobaye.

Moussa Bk est étudiant à Sciences Po Grenoble où il termine sa dernière de Master spécialisé sur le monde arabe et la Méditerranée. Ses domaines de recherche portent essentiellement sur les processus de transition à l’œuvre dans le monde arabe, l’islamisme post-révolutionnaire, l’intégration euro-méditerranéenne, le conflit israélo-palestinien et le “choc de l’ignorance”.  Il twitte sur @MoussaBk.

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Filed under Arab Spring, Foreign Policy & IR, Français, Palestine & Israel

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