Visite du Medef à Téhéran : quelles perspectives pour la France?

Par Henri d’Aragon – 5 février 2014

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Téhéran

Le 3 février 2014, une délégation du Medef -la première de cette ampleur depuis dix ans et composée des plus grands groupes français- s’est rendue à Téhéran pour une visite de deux jours. Cette visite ne vise officiellement qu’à « prospecter », selon le Quai d’Orsay, les différents marchés que l’Iran pourrait offrir à moyen terme aux entreprises françaises. Mais en réalité, nombre d’entre elles attendent depuis longtemps la levée des sanctions afin de se positionner rapidement sur ce marché prometteur.

Rappelons que l’industrie automobile américaine n’a pas attendu l’élection d’Hassan Rohani et la levée très modeste de l’embargo pour se pré-positionner. Depuis plus d’un an, des officiels du département d’Etat et du Trésor américains négocient avec des industriels iraniens par le biais du sultanat d’Oman. Des publicités pour les voitures du groupe General Motors, importées via l’Azerbaïdjan, sont d’ores et déjà visibles dans plusieurs journaux de Téhéran. Et pourtant, le groupe ne viole pas l’Executive Order Act 13645 qui interdit l’exportation de pièces détachées mais pas celle de véhicules. Car justement, les sanctions dans le secteur automobile touchent essentiellement l’importation en Iran de pièces détachées, ce qui affecte les deux principaux groupes français PSA et Renault.  Le retrait de PSA, au mois de janvier 2012, avait d’ailleurs mis en lumière les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises françaises -qui disposent d’une part de marché non-négligeable en Iran- pour faire des affaires avec la République islamique. De fait, les sanctions bancaires rendent quasiment impossible toute transaction, ce qui réduit les échanges au strict minimum. Si de petites ou moyennes entreprises continuent d’échanger à travers des plateformes de paiement installées à Dubaï ou en Turquie (sociétés écrans ou autre intermédiaires), et certaines via des transferts d’argent liquide, ceci demeure très compliqué.

Inverser la « courbe d’infréquentabilité »

L’élection au premier tour du candidat Rohani en juin dernier -qui a occupé la place vide laissée par les modérés et choisi dans son gouvernement de nombreux technocrates et experts compétents (Mohammad Javad Zarif aux Affaires étrangères ou Ali Taybnia à l’économie) dont six ont étudié à l’étranger- a privé les plus farouches opposants de la République islamique d’un épouvantail facile à diaboliser. La politique du président Rohani est ainsi muée par la volonté d’inverser la « courbe d’infréquentabilité » de l’Iran et d’afficher sa capacité à traiter les véritables problèmes du pays : l’inflation, les sanctions et l’isolement diplomatique de la République islamique.

Un réseau à reconstruire

L’un des objectifs de la délégation du Medef est d’exprimer la volonté française de reconsolider un réseau commercial fiable entre la France et l’Iran. Les années Ahmadinejad ainsi que la montée croissante des sanctions ont eu pour conséquence une rupture progressive des réseaux politiques et surtout économiques. La mission du nouvel attaché économique français à Téhéran sera en partie de remédier à cette situation (NDLR, la mission économique de l’ambassade de France en Iran est fermée depuis novembre 2011 à l’instar des services dit non-essentiels de la représentation).

De ce fait, les investissements français en Iran en 2012 ont baissé de moitié par rapport à l’année 2011 (800 millions d’euros contre 1,6 milliards). « Toutes les sanctions ne sont pas levées » insiste le Quai d’Orsay qui prône la prudence malgré une timide approbation de cette visite. En effet, seuls sept milliards de dollars d’avoirs iraniens ont été débloqués, et le reste se fera progressivement jusqu’au retour à une situation presque normale d’ici 2015 pour les plus optimistes.

L’intensification de l’embargo ainsi que la détérioration des relations diplomatiques avec l’Iran ont incité les entreprises iraniennes à tourner le dos à la Méditerranée au profit de marchés asiatiques. Or, la République islamique dispose d’une forte industrie dans de nombreux domaines mais qui souffre d’un retard de développement dû aux sanctions. Outre le raffinage, l’aviation civile est particulièrement touchée et cette dernière pourrait bien, à l’avenir, bénéficier de l’expertise française à condition que celle-ci parvienne à se positionner en temps et en heure.

Quelle image de la France ?

Malgré la position française sur les négociations de novembre dernier et la menace d’une intervention militaire en Syrie, la France bénéficie de manière générale d’une image positive dans une société iranienne très éduquée, de plus en plus urbanisée et ouverte sur le monde extérieur, où 55% des étudiants sont des femmes et dont la langue, le persan (parlée par seulement 100 millions de locuteurs) est la septième ou huitième langue du net. Il convient donc de profiter de cette bonne image alors même que la culture atlantiste demeurera relativement impopulaire dans l’inconscient de nombreux Iraniens, en particulier parmi la génération qui a connu le front Iran-Irak, et qui est parfois réticente à négocier avec l’ «Occident». L’enjeu de cette visite est également de montrer que l’Occident ne forme pas un bloc uni mais que la France peut renouer un partenariat politique, économique et commercial durable avec l’Iran.

Enfin, gardons à l’esprit que l’Iran c’est également 60% de « jeunes » de moins de 30 ans ; une génération qui n’a connu ni la révolution ni la guerre Iran-Irak, et qui arrive, petit à petit, aux affaires. Celle-ci ne souhaite pas forcément subir le zèle antioccidental de ses aînés et entend plutôt renouer avec le monde via le commerce – véritable nerf de la guerre – et ainsi redonner à l’Iran sa place tant méritée dans le concert des nations. Car si l’Iran a besoin de nouveaux investissements, le commerce international a encore plus besoin de l’Iran.

 

Henri d’Aragon est initiateur et co-fondateur du Cercle Iran Économie. Diplômé de l’INALCO en hautes études internationales et en langues arabe et persane, il est actuellement étudiant en relations internationales à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (MRIAE). Il a vécu 15 ans aux Proche et Moyen-Orient (Koweït, Syrie, Arabie Saoudite) et a été chargé de mission à Reporters Sans Frontières (RSF) et au Ministère des Affaires étrangères.

 

 

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Filed under Foreign Policy & IR, Français, Iran

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