L’Iran ne sera pas le gendarme du Moyen-Orient

Par William Hanna – 15 juin 2014

Source: Jason DeCrow/AP

Source: Jason DeCrow/AP

Suite à la conquête spectaculaire de nombreuses villes irakiennes par l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL), le président iranien n’a pas hésité à déclarer, samedi 14 juin, que son pays « était prêt à apporter tout soutien nécessaire demandé par le gouvernement irakien, dans son combat contre le terrorisme ». Cette déclaration est d’autant plus significative lorsqu’elle est comparée aux hésitations de la politique étrangère américaine et au quasi mutisme européen. L’annonce par le Pentagone de l’envoi d’un porte-avion déjà stationné dans la région du Golfe arabo-persique, à proximité des eaux territoriales irakiennes,  renforce l’impression d’un attentisme américain. 

S’il est encore trop tôt pour se prononcer sur les scénarios à venir et l’ampleur de l’engagement  occidental au Moyen-Orient, les premières réactions semblent s’inscrire dans le prolongement de la stratégie américaine de retrait de la région, entamée par l’administration du président Barack Obama.  Plus encore, dans son intervention du 13 juin, Barak Obama a conditionné toute décision d’intervenir en Irak à l’accord préalable du Congrès, de la même manière qu’il avait eu recours, quelques mois plus tôt, à une manœuvre politique similaire afin d’éviter une intervention militaire en Syrie.

Face aux hésitations américaines, les déclarations du président Rouhani tentent de promouvoir l’image d’un Iran gendarme de la région face aux menaces terroristes. Ainsi, l’Iran reprend les mêmes éléments de langage qui ont servi à justifier son engagement aux cotés du régime de Bachar Al Assad et décrit le conflit actuel en Irak de bras de fer entre le gouvernement central et une organisation terroriste. Autrement dit, dans la perspective d’un retrait progressif des Américains de la région, le gouvernement iranien se présente en champion de la lutte anti-terroriste, dans une opération de séduction à l’égard des pays occidentaux. Confortant sa rhétorique, l’Iran a enregistré un certain nombre de victoires militaires contre des groupes djihadistes, qui sont à leur tour visés par des sanctions occidentales.

Par ailleurs, plusieurs sources ont évoqué une forme de coopération indirecte entre le Hezbollah libanais, proxy de l’Iran, et certains services de renseignement occidentaux dans le but de réduire la nuisance des organisations djihadistes. A la lumière de ces éléments, certains partisans du camp dit de la « résistance »[1] se réjouiraient déjà d’un potentiel revirement d’alliances dans la région de sorte que les Américains pourraient accepter, ou voire même soutenir, une hégémonie iranienne.  Cette attitude révèle le sentiment de la toute puissance qui anime les esprits échauffés au sein de ce camp, et probablement un refus de saisir les nuances du discours américain. En réalité, si le retour de l’EIIL au devant de la scène irakienne conforte le discours iranien anti-terroriste, il prouve également que l’Iran est bien loin d’être en mesure de garantir la stabilité régionale, pourtant chère à l’Occident.

Les déclarations hâtives du président iranien et les appels à la mobilisation générale lancés par les clercs chiites ne font que confirmer le pari de Téhéran en vue de contrôler la région. Celui-ci ne repose que sur l’hypothèse suivante : la mise en place de gouvernements qui lui sont loyaux mais dont la légitimité s’appuierait avant tout sur une `assabiyya confessionnelle et non sur de véritables projets nationaux. En d’autres termes, au regard du fort sentiment anti-iranien au sein des populations arabes,  la marge de manœuvre de l’Iran pour stabiliser la région se limite au soutien militaire (qui se fera de plus en plus insuffisant) qu’il peut apporter à des gouvernements en crise de légitimité et de représentativité.

En dépit des victoires militaires de l’Iran en Syrie et de sa mainmise sur le Liban, les conquêtes de l’EIIL en Irak soulignent qu’il ne suffit plus de préserver les gouvernements en place à Damas ou à Bagdad afin de bénéficier d’une position hégémonique dans une région dont les frontières semblent s’effacer, et où l’Etat central tend à s’affaiblir au profit des milices et organisations qui le soutiennent. Plusieurs éléments compromettent la volonté iranienne d’être mandatée afin d’assurer la sécurité régionale:

  • En dépit des tentatives du gouvernement central à Bagdad et de l’Iran afin de promouvoir l’idée que les évènements en Irak ne sont que le résultat d’agissements de groupes terroristes, cette thèse semble peu crédible même pour la Maison Blanche qui tend à concevoir sa politique moyen-orientale sous le prisme de la lutte anti-terroriste. Les déclarations du 13 juin du président américain au sujet des récents évènements en Irak démontrent une véritable compréhension de la situation politique qui a mené aux récents évènements, et remettent en cause les politiques sectaires menées par les élites politiques irakiennes. Autrement dit, l’administration américaine refuse de voir la situation irakienne sous le seul prisme de la lutte anti-terroriste. Le président américain insiste en effet sur la nécessité de parvenir à un accord politique entre les différents acteurs irakiens. Une note publiée par le think-tank NORIA souligne que l’EIIL avait réussi à pénétrer les réseaux économiques et sécuritaires de Mosul, préalablement à l’offensive lancée la semaine dernière. Ceci démontre de manière générale, l’acceptation si ce n’est le soutien apporté à l’EIIL par certaines franges des communautés sunnites arabes en Irak et confirme le caractère politique –et pas uniquement sécuritaire- de la crise actuelle. Or, les Etats-Unis semblent avoir parfaitement assimilée cette donne.
  • Barack Obama refuse de considérer l’Iran comme un partenaire stratégique dans la lutte anti-terroriste. Contrairement aux vœux de Téhéran, le président américain insiste toujours sur la nécessité de soutenir les éléments modérés en Syrie contre l’EIIL. Pis encore du point de vue de l’Iran, ce dernier considère Bachar al-Assad comme le principal obstacle à la stabilité dans la région.
  • Le succès relatif des coalitions militaires de l’opposition syrienne en vue de déloger l’EIIL d’un certain nombre de localités, notamment dans le nord de la Syrie, s’avère d’autant plus significatif si l’on tient compte de la débâcle des troupes gouvernementales irakiennes qui pourtant avaient reçu équipements et entrainements au cours des dernières années ; chose que le président américain n’a pas manquée de souligner. L’opposition syrienne a une véritable opportunité de prouver qu’elle est en mesure de devenir un partenaire stratégique dans la lutte anti-terroriste. Cela nécessiterait des victoires militaires, mais également un discours qui se distancerait sans ambiguïté de l’EIIL ainsi que des autres composantes djihadistes de l’insurrection syrienne. Certes, un tel développement ne pourra être que progressif. Il est cependant certain que la version selon laquelle les crises syrienne et irakienne n’opposeraient qu’un gouvernement central aux groupes terroristes n’est plus crédible.  Après la Syrie où l’Etat central s’est fragilisé au profit des milices locales et étrangères, une tendance similaire pourrait se développer en Irak suite à l’appel à la mobilisation générale adressé à la population chiite et au désaveu subi par l’armée irakienne.

L’Iran et ses alliés semblent payer le prix fort de leur politique syrienne. Ces derniers risquent de voir leur hégémonie au Liban, en Syrie et en Irak significativement diminuée. Le pyromane ne contrôle plus l’étendue de l’incendie, malgré quelques victoires localisées sur le versant Est du Mont Hermon et à Homs. L’Iran sera beaucoup trop occupé à jouer au pompier dans sa cour arrière, pour pouvoir prétendre au rôle de gendarme régional.

 

[1] Le camp de Al Moumana`a comprendl’Iran, le régime syrien et le Hezbollah, et se veut le héraut de la lutte anti-américaine et anti-israélienne au Moyen-Orient.

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Filed under Français, Iran, Iraq, Lebanon & Syria

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