Cour constitutionnelle marocaine : des Sages et de Pandore

Par Youssef Aït Benasser –  25 juin 2012

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Source : conseil-constitutionnel.ma

La Cour constitutionnelle marocaine vient de rendre deux décisions qui multiplient les interrogations quant à son indépendance et sa neutralité politique. Retour sur une semaine où les constitutionnalistes ont abrogé la légitimité représentative.

Pour commencer ce journal nous irons à Al Hoceima, la ville reconnue pour son climat doux et tempéré n’est pas épargnée par la vague de chaleur qui touche le pays. Ses plages sont prises d’assaut par des habitants en quête de fraicheur”. C’est la phrase introductive du journal télévisé de la deuxième chaine nationale en ce samedi, annonçant ce qui semble être la plus importante nouvelle de la journée: l’afflux des rifains vers les pittoresques plages méditerranéennes. Si on ne se la coule pas douce au plus beau pays du monde!

Mais ce n’est pas que dans le Rif qu’on se la coule douce. Suspendu le haut d’une colline qui surplombe la tranquille plage de Rabat, la Cour constitutionnelle semble aussi bien profiter de son temps. Les sages n’y chôment pas. En l’espace d’une semaine, ils ont délivré deux décisions annulant l’élection de deux listes et quatre sièges de la chambre basse du parlement. La Cour qui a ainsi retenu le recours du Parti Authenticité et Modernité contre les listes du PJD dans deux circonscriptions, ouvre une brèche dans l’ensemble du processus électoral des législatives de Novembre dernier, qui ont porté au pouvoir un gouvernement conduit par les islamistes modérés.

Durant le procès, les deux listes plaignantes ont suivi le même argumentaire: les habitants des circonscriptions n’ont pas voté pour les candidats de la liste adverse, mais bien pour les photos de minarets apparaissent dans l’arrière plan des affiches PJDistes. La Cour a retenu le recours, validé l’argument et s’est ensuite adonnée à un exercice de gymnastique constitutionnel par lequel il a finalement invalidé les élections des deux circonscriptions. La décision du tribunal est abasourdissante de part les dizaines d’articles qu’elle invoque contre les listes du PJD et qui semble démesurée face à l’obsolescence du grief: puisque la constitution insiste dans son introduction sur l’égalité des chances, l’interdiction des discriminations, et vu que l’article 1 définit la religion musulmane comme un pilier de la vie publique, d’autre part l’article 2 dispose des élections libres et transparentes, sans oublier que l’article 11 définit les élections comme la base de la légalité de la représentations démocratiques, et d’ailleurs une loi de régulation du champs audiovisuel interdit un tas de choses dont l’apparition en période électorale dans les endroits de cultes ou leur utilisation partielle ou intégrale, et donc les élections dans les circonscriptions indiquées sont invalidées. Notez que le texte de la décision est à peine caricaturé.

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Le PJD n’est pas la victime de cette décision, il en est complice. Durant la réforme de la constitution en 2011, aucun mémorandum, parti ou organisation ne s’est concentré sur le rôle du gendarme de la constitution. Tous s’acharnaient à trouver un partage qui leur assure gains idéologiques ou électoraux et la durabilité même du fonctionnement institutionnel et étatique en a naturellement pâti. Le parti islamiste lui-même avait fourni davantage d’efforts pour assurer la mention de l’élément religieux dans l’identité nationale que pour l’édification d’institutions pérennes. Le débat public ne s’est point saisi de cette institution qui a aujourd’hui la charge de la lecture et de l’interprétation des textes fondateurs. Et c’est aujourd’hui une cour calquée sur le fonctionnement de son prédécesseur fondé en 1962 qui décide de la lecture à donner à la nouvelle constitution, et qui supervisera dans les mois à venir la composition des nouvelles lois organiques, lois qui pourront faire ou défaire la mini-démocratie marocaine. Ces lois organiques qui devront couvrir des thématiques aussi importantes que la réforme de la chambre haute, la régionalisation élargie, ou l’officialisation de la langue amazighe, souffrent déjà de la lenteur et de la couardise du gouvernement qui pilote la transition constitutionnelle. Elles seront désormais exposées en prime à toutes sortes de dérives et de lecture minimaliste et anti-démocratique en l’absence d’une protection constitutionnelle bienveillante.

Les exemples sont nombreux de systèmes dont la démocratisation s’est faite de manière progressive et progressiste par de sages exégètes. L’absence d’une culture constitutionnelle ou même d’une réelle tradition juridique empêche aujourd’hui le Maroc de s’inscrire dans cette liste. Un autre coche, que rate le Royaume Chérifien.

Sur 50 ans d’histoire, le conseil constitutionnel marocain nous a tous appris à ne point le charger de grandes attentes. Le changement de nom qui a accompagné la nouvelle constitution, et le prochain déménagement vers de nouveaux locaux, n’y a rien changé. Il existe toutefois une différence que je crois considérable entre les grandes attentes et la simple présomption de bon sens qu’on est en droit d’avoir vis-à-vis des sages Rbati.

Avec du recul, on pourrait croire que l’inspiration est dans ce cas égyptienne. La folie des magistrats serait alors un simple cas épidémique dont nos constitutionnalistes n’ont pas la charge. L’on pourrait alors aussi se vanter ou se réjouir car le niveau de contamination au Maroc n’est pas aussi élevé qu’en Egypte où toute une assemblée a été dissoute. Mais la maladie reste tout aussi complexe. Voilà au Caire un tribunal suprême entièrement nommé par Moubarak qui fait le bonheur d’un corps militaire qui ne veut plus quitter le pouvoir. Voici à Rabat une cour constitutionnelle héritée de l’ancienne constitution qui érode la majorité du gouvernement en place, sur recours d’un parti parachute, et qui ouvre ainsi grand la porte aux incertitudes (qui ne manquaient pas). Et voici en somme deux modèles de la transition démocratique arabe qui affligent le transit intestinal de leurs citoyens les plus démocrates.

Lorsque Pandore a ouvert la boîte que Zeus lui avait confiée, il en sortit des maux qui s’étendirent au monde. Mais au fond de la jarre restait Elpis, la personnification de l’espoir. Il reste encore à voir si nos Pandores nationales ont laissé de l’espoir au fond de la jarre démocratique.

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