Quand la jeunesse pense l’avenir de l’Afrique : interview avec l’association « Terangaweb – l’Afrique des idées »

Interview – 3 juillet 2011

ArabsThink.com : L’Afrique est un continent mal connu, dont l’opinion publique en Occident ne retient que les faiblesses. Votre association répond-t-elle à un besoin de pédagogie ? Etes-vous porteurs d’un message politique ?

Vous avez tout à fait raison de souligner la méconnaissance dont pâtit l’Afrique dans l’opinion publique en Occident. Grâce aux articles d’analyse et interviews que nous publions tous les jours sur notre site, nous contribuons sans doute à notre mesure à la présentation d’une Afrique plus proche de la réalité, pas seulement une Afrique des conflits et de la pauvreté, mais aussi une Afrique dont le taux de croissance moyen du PIB au cours de la dernière décennie a été de 5% avec des pays comme la Sierra Leone parfois au-dessus de la barre des 10% ; une Afrique dans laquelle les mouvements d’émancipation sont de plus en plus prégnants.

L’opinion publique occidentale n’est cependant pas la cible immédiate de notre association. Pour Terangaweb, l’enjeu est d’abord d’amener la jeunesse africaine à réfléchir davantage sur des sujets liés aux enjeux de développement du continent, dans plusieurs domaines tels que la culture, l’économie, la politique, le développement des villes. L’intérêt pour nous est de proposer une plateforme multidimensionnelle autour de laquelle se retrouvent et réfléchissent les jeunes africains du continent comme de la diaspora ainsi que toutes les personnes intéressées par l’Afrique. Notre engagement se fait dans le cadre de ce que nous appelons l’afro-responsabilité, à savoir mieux comprendre les énormes défis auxquels fait face le continent africain afin d’œuvrer à ce qu’il puisse les relever.

Terangaweb est aussi une association qui se positionne comme un jeune think tank avec l’ambition de devenir dans quelques années un acteur clé du débat public africain. C’est ainsi que nous menons des réflexions relativement poussées sur des sujets tels que la question monétaire, le rapport des populations africaines à l’Etat ou encore la question des minorités.

ArabsThink.com : Votre présentation générale souligne l’importance d’une « dynamique d’union africaine ». Sur quel socle commun des pays aussi divers peuvent-ils s’accorder ?

La balkanisation de l’Afrique, soulevée déjà au moment de l’indépendance de la plupart des Etats africains il y a 50 ans par des personnalités comme Léopold Sédar Senghor, constitue encore aujourd’hui un vrai problème à la fois politique et économique. Politique, car les Etats africains pris isolément peuvent difficilement peser sur les grandes décisions de la gouvernance mondiale, voire sur les décisions concernant la marche même de l’Afrique. Economique, car les investissements aujourd’hui nécessaires en termes d’infrastructures, de transport, d’énergie ou d’agriculture ne sont pas pertinents à l’échelle de micro Etats tels que nous en avons en Afrique. L’heure est donc aux intégrations sous régionales et à l’Union Africaine, et à juste titre d’ailleurs, d’autant plus que la plupart des enjeux en matière de développement, de modernisation de l’Etat, d’emplois des jeunes, d’éducation et de santé se posent avec la même acuité à tous les Etats africains.

Seulement, l’Afrique est en train d’essayer d’unir des Etats alors même que presque rien n’est fait pour rapprocher les populations. Le constat est qu’encore aujourd’hui et en dépit même de l’essor des technologies de l’information et de la communication, les débats restent beaucoup trop cloisonnés entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du nord, entre l’Afrique anglophone et l’Afrique francophone. A Terangaweb, nous travaillons à faire tomber ces barrières en amenant des jeunes de tous les coins du continent à travailler et à réfléchir ensemble pour faire de la jeunesse un acteur majeur de la transformation des Etats africains et de leurs économies. C’est en cela que nous entendons accompagner la dynamique d’union africaine.

ArabsThink.com : Les regards du monde entier se sont fixés sur les mouvements arabes d’émancipation. Un scénario semblable peut-il se produire dans les dictatures d’Afrique ?

J’ai moi même publié un éditorial au mois de février intitulé « Un destin commun de part et d’autre du Sahara ». Je pense qu’en dépit de quelques différences somme toute marginales, la situation des pays d’Afrique du nord où des dirigeants restaient au pouvoir pendant des décennies est identique à celle de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. José Eduardo Dos Santos dirige l’Angola depuis 32 ans, Paul Biya le Cameroun depuis 29 ans. Des dirigeants comme Theodoro Obiang Nguema, Denis Sassou Nguesso ou encore Blaise Compaoré n’ont hélas rien à envier à Ben Ali ou à Moubarak. Dans ces pays comme dans ceux d’Afrique du nord il existe un accaparement du pouvoir politique et économique par une minorité qui n’a guère de considération pour les populations. Les dirigeants se sont coupés de leurs peuples ; ils se sont coupés de la jeunesse.

Et puis on parle des mouvements arabes d’émancipation en passant sous silence le fait que ces mouvements soient issus d’Etats du continent africain, à savoir la Tunisie et l’Egypte, quand bien même ceux-ci auraient une double identité. Mais à vrai dire là n’est pas le débat car dans la maison de la liberté, de l’émancipation politique et économique des populations, il y a sans doute de la place pour le plus grand nombre.

ArabsThink.com : Dans le cadre du partenariat Terangaweb – ArabsThink.com, quels sont pour vous les points de rencontre entre nos deux initiatives et les perspectives de progrès dans un esprit commun ?

L’initiative d’ArabsThink est extrêmement intéressante et contribue largement à enrichir le débat sur les sociétés arabes sous le prisme qui est celui de la jeunesse. Aujourd’hui les jeunes doivent sortir de la minorité dans laquelle ils se sont (ou ont été) jusque là cantonnés. Qu’il s’agisse des pays africains ou arabes, la jeunesse prend une nouvelle dimension et des initiatives comme ArabsThink et Terangaweb – L’Afrique des Idées, participent aussi de cette dynamique. Les pays arabes et ceux d’Afrique n’ont pas réussi au cours des dernières décennies à structurer un espace public de débat stimulant. Aujourd’hui les choses sont entrain de changer à un rythme incroyablement accéléré. ArabsThink et Terangaweb sont assurément à même de contribuer à ce tournant.

A ArabsThink comme à Terangaweb, nous parlons aussi régulièrement des pays d’Afrique du Nord qui constituent ainsi un ensemble commun entre nos deux plateformes. Naturellement, un échange d’articles dans ce cadre fait sens. Mais notre partenariat ira certainement au-delà, il faudra prendre le temps de construire une relation durable et je ne doute pas nous ayons différentes opportunités de travailler ensemble.

ArabsThink.com : du premier format de blog à sa riche plateforme actuelle, Terangaweb n’a cessé de croître. Quelle est la clef d’une expansion réussie ? Quelles ambitions pour les années à venir ?

Quand nous avons lancé Terangaweb en janvier 2009, ce qui était alors plus un blog qu’un portail internet se focalisait uniquement sur le Sénégal et nous n’avions pas réussi à réunir beaucoup de rédacteurs ni même à élargir notre audience. Sur ces trois points, il y a eu de réelles avancées. Depuis la nouvelle version du site devenu Terangaweb – l’Afrique des Idées, nous nous sommes ouverts à l’ensemble du continent. Ce positionnement se reflète aussi bien dans le continu de nos publications que dans la diversité de la trentaine de membres qui composent notre équipe.

Il est cependant nécessaire que nous continuions à travailler à l’amélioration de notre visibilité. Cela passera par la qualité de nos articles, mais aussi par une communication ciblée et par des partenariats.

Par rapport à notre ambition de devenir un acteur du débat public africain, nous nous sommes officiellement constitués en association de loi 1901 et avons participé au dernier Forum Social Mondial. A la rentrée en octobre, nous comptons organiser une conférence sur la question de la monnaie en Afrique. De façon générale, les challenges concernant notre projet sont considérables ; nous réfléchissons en interne et nous nous faisons accompagner par des personnalités pour définir les angles par lesquels nous pourrons continuer à approfondir notre engagement.

Si vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez vous rendre sur le site internet de l’association, ou sur leur page facebook.

Interview réalisée par Antoine Alhéritière.

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