Du plébiscite dans le Royaume du Commandeur des Croyants

Par un(e) Marocain(e) – 30 juin 2011

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Le Maroc vit aujourd’hui au rythme de la campagne référendaire qui se termine le 30 Juin pour donner lieu le lendemain au vote sur la constitution réformée proposée par le souverain du pays. L’issu de ce référendum est connu de tous, et le pourcentage de oui ne constitue plus aucun enjeu. La seule question demeure relative au taux de participation au référendum que le mouvement du 20 Février appelle à boycotter.

En politique, fond et forme ne sont point dissociables. La forme est une partie du fond, elle le révèle, fait deviner sa valeur et présage sa sincérité. La sincérité n’est pas, voyez vous, un hymne qui s’entonne ou un discours qui se recycle. C’est au contraire un cumul de comportements et d’attitudes censés démontrer l’honnêteté de chaque partie dans l’action qu’elle entreprend.

La constitution marocaine ne saurait se résumer aux réformes qu’elle introduit. C’est pourquoi je ne m’attarderai point sur cette question des réformes qui peuvent êtres jugées différemment selon le positionnement de chacun, certains y voyant une véritable aubaine de démocratisation, d’autre la comparant à une chirurgie de réparation des traits déformé d’un régime vieillit par le temps. Se situer entre ces deux bords reviendrait à prendre parti dans le débat de la philosophie politique où divergent traditionnalistes et libéraux. En somme, trop de grands mots et grandes notions dont le lecteur se passera aisément.

La forme est encore plus cruciale dans le Royaume Chérifien. C’est un régime qui dispense les promesses de réformes depuis plus d’un demi-siècle, qui  a pris l’habitude de chanter des cantines de démocratie et de radieux lendemains pour endormir les ventres vides et les cerveaux annihilés de ses enfants. Face à un régime professionnel des tours de passe-passe le fond n’est rien car constamment perverti et enjolivé, et seul la forme permet de deviner les intentions et de comprendre les projets.

À défaut donc de pouvoir analyser un fond dont l’interprétation restera toujours à la discrétion du mandateur de la réforme, concentrons nous sur la forme, et voyons ce qu’elle augure de bon pour le Royaume du Commandeur des croyants.

Quittons un peu la tour d’ivoire où se place le Makhzen quand il feint la participation et évoque généreusement l’opinion adverse, débarrassons nous de l’éclat dont brille nos médias “publics” quand ils entendent élargir le débat et s’ouvrir à l’autre, et regardons sans apriori l’action du mastodonte étatique dans toutes ses composantes. Que verrons nous?

Nous verrons tout d’abord des oui et des banderoles qui flottent partout, à l’entrée de quartiers qui promettent “soutien et soumission à l’appel de Sa Majesté”. Nous nous avancerons encore un peu, puis nous verrons un petit drapeau planté entre un ananas et des pastèques sur le carrosse d’un marchand des quatre saisons qui vous parlent de “la constitution de sidna” (litt. notre seigneur en référence au souverain). Courageux nous continuerons à pénétrer dans ce monde de nounours pour entendre un “moul detail” (litt. Vendeur de cigarettes à l’unité) vous parler d’un “doustour zwine” (litt. Une jolie constitution).

Nous verrons ensuite défiler des jeunes de quartiers, recrutés par les représentants locaux de l’Etat à 100 dirhams afin d’intensifier la mobilisation. Mais nous n’y ferons pas attention, car nous sommes au Maroc, et que les élections se sont toujours gagnées de la sorte.

Nous aurons ensuite droit au comble de l’indignation quand, en entrant dans une mosquée, nous écouterons un prêche complètement consacré à la question de la constitution et au oui qui doit y répondre. Prêche écrit par l’administration religieuse de l’Etat, lu par les Imams de l’Etat, dans les mosquées de l’Etat, où par des acrobaties religieuses multiples on arrive à vous démontrer que la colère de Dieu s’abattra sur vous le jour du jugement dernier si vous bravez ce qui s’apparente désormais au onzième commandement: “oui à la constitution tu diras”. Mais il n’y a pas de mal à ça vous me direz, après tout la nouvelle constitution pose bien que “l’Etat est islamique”, et que le chef de cet Etat est commandeur des croyants, pourquoi dès lors ne pas exploiter la religion avec tous les avantages qu’elle offre pour servir le Léviathan? Passons…

Le magazine francophone Telquel en parlant des convention sociales au Maroc avait titré il y a de cela quelques années “blad skyzo” (litt. Pays de la schizophrénie ou des schizophrènes). Aujourd’hui, la pyramide étatique makhzénienne donne l’exemple de cette schizophrénie hypocrite.

Un jour on nous parle de choses bien sympathiques, d’un président du gouvernement responsable devant le parlement, d’un tribunal constitutionnel accessible au justiciable, et d’un “tournant majeur” où il s’agit, en l’occurrence de réunir les éléments favorables à une citoyenneté digne. Le jour suivant on se procure notre citoyenneté à coup de billets de cent. On nous parle d’une nouvelle ère de la liberté d’opinion tout en citant des versets où on nous appelle à craindre les flammes de l’enfer en cas de non ralliement à l’appel sacré. Aux remontrances des religieux qui refusent de s’aligner, on peut opposer des menaces de licenciement puisque ce ne sont là que des fonctionnaires de l’Etat.

Voilà donc comment nous inaugurons un tournant historique dans le pays de l’exception. Voici comment nous finalisons notre chantier de la transition démocratique. Voici surtout comment nous fabriquons du consensus. Et comme dit le proverbe marocain “que cela dure, et vous serez encore mieux servi” (« daba ytoul w y3jbek »).

Cette schizophrénie que révèle la question de la campagne référendaire au Maroc est décidemment appelée à durer. Lorsque le samedi 2 Juillet nous nous réveillerons au rythme des tambours et des instruments à vents traditionnels célébrant les 80 à 90% de oui, nous commencerons une nouvelle étape de skyzo. Car nous vivrons alors sous une « monarchie constitutionnelle démocratique parlementaire et sociale » [1] où :

– la constitution qui ressemble plus à un programme électoral qu’à un pacte social, n’a aucune légitimité

– la démocratie coexiste avec la concentration du pouvoir aux mains d’une instance non élue, et non soumise à la fâcheuse « accountability »

– le parlement est formé de partis-corporations familiales, religieuses, ou autres

– et le social est une sorte de cérémonial où les différents ministres distribuent des chaises roulantes et des kits alimentaires.

Clôturons quand même sur une note optimiste, afin de répondre aux critiques de tous ceux qui guettent les solutions pratiques et non seulement les diagnostics profonds. Le Maroc a aujourd’hui besoin d’une rupture profonde pour pouvoir remettre en cause des croyances fortement ancrées dans la tradition passive du citoyen-sujet réduit à la médiocrité politique par des siècles de ce poncif que nous vantons tant : la continuité.


[1] Texte de la constitution.

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Filed under Arab Spring, Français, Morocco

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