Bavures et non-dits du « Nakba Day » au Liban-Sud

Par Federica Pesce – 30 mai 2011

Dimanche 15 mai 2011, des milliers de Palestiniens et de sympathisants de la « cause palestinienne » se sont rendus à Maroun el-Rass, au sud du Liban, pour commémorer la Nakba, ou la « catastrophe ». Ce n’était pas la première fois que des manifestations étaient organisées pour ce que l’on nomme le « Nakba Day », mais, il s’agissait cette fois-ci du plus grand rassemblement de Palestiniens à la frontière israélienne depuis 1948.

La perpétration régulière de massacres israéliens contre la population palestinienne a toujours été « excusée », voire « légitimée » par les aides (Etats-Unis aujourd’hui, France autrefois) et le silence coupable de la communauté internationale. Le contexte semble pourtant avoir évolué. Depuis la première intifada, l’opinion publique internationale parait plus sensible et préoccupée par la cause palestinienne. En effet, l’opération « plomb durci » contre Gaza en janvier 2009 a révélé jusqu’où l’Etat d’Israël pouvait aller dans la violation du droit international. Trente ans après la « catastrophe », et dans le cadre de mouvements d’émancipation dans les pays arabes, l’opinion publique internationale n’a toujours pas réalisé que des millions de balles israéliennes marquées USaid ne constitueront jamais un outil de dialogue et de paix.

Rattachée de façon réductrice aux évènements qui bouleversent le Monde depuis l’immolation de Mohammad Bouazizi, la particularité de cette manifestation était due à un contexte inédit. Tout d’abord la chute du régime de Hosni Moubarak permet au Hamas de se défaire partiellement de son isolement international. De plus le rapprochement Fatah-Hamas marque une évolution dans le jeu politique palestinien. Enfin, le pouvoir syrien a su instrumentaliser cet évènement pour détourner l’attention de la répression intérieure.

Le symbolisme de Maroun el-Rass, cependant, n’était pas exclusivement palestinien. Ce petit village frontalier occupe une place particulière dans l’esprit de nombreux libanais. Situé dans le caza de Bint Jbeil (la ville qui a accueilli le président iranien Mahmoud Ahmadinejad au cours de sa visite au Sud du Liban en octobre 2010), il fut le théâtre d’une des batailles les plus dures de la guerre Israël-Hezbollah en 2006. Aujourd’hui, Maroun el-Rass fait partie des hauts lieux de la « résistance » menée par le Hezbollah. En effet, les membres du parti de Dieu ont participe à l’organisation de la manifestation, s’occupant de la logistique, de la distribution des snacks et boissons, ou encore de la gestion des questions sécuritaires.

L’atmosphère de Maroun el-Rass ce dimanche de mi-mai était comparable à celle d’une fête paysanne. Les habitants ouvraient leurs maisons aux visiteurs, dans les rues, les gens dansaient au rythme de derbekkeh ou bien se relaxaient autour d’un ‘arghile au parfum tiffehten ou laymoun bi na’n’a. Hommes, femmes, personnes âgées, jeunes et enfants se ruaient en masse pour apercevoir, de loin, leur terre natale. Une dame âgée me demanda de bien vouloir la prendre en photo ; dans sa main droite elle tenait les clés d’une maison qu’elle a du quitter en 1948. De l’autre côté de la route, un groupe d’hommes priaient pour le zuhr. Il était midi.

Soudain, un bruit prolongé, interrompu à intervalles réguliers, immobilisa la foule. Un esprit naïf et envouté par ce climat de fête aurait pu croire à des feux d’artifice pour célébrer cette belle journée. Mais ce ne fut pas le cas. Quelques soldats de l’armée libanaise avaient commencé à tirer en l’air pour inciter la foule à ne pas s’approcher de la frontière. En quelques secondes, l’ambiance festive s’était muée en un sentiment de peur et de confusion annonçant une nouvelle catastrophe.

Ignorant les avertissements de l’armée libanaise, les manifestants dépassèrent la barrière militaire pour essayer d’atteindre progressivement la frontière. « Bi roh bi dam nafdik, ya Falastine ! », criaient-ils, accrochant leurs t-shirts et drapeaux aux fils barbelés. A ce moment là, l’armée israélienne est intervenue. Elle visait directement les manifestant armés de pierres et de drapeaux. Dans un communiqué repris par l’AFP, l’armée israélienne a indiqué que « plusieurs émeutiers ont tenté de franchir la barrière frontalière et de s’infiltrer en territoire israélien. Les forces israéliennes ont répliqué par des tirs de semonce ». Mais selon une source médicale de l’hôpital de Bint Jbeil « les personnes tuées ont été touchées au visage, au ventre et au cœur ».

Nous étions assis, impuissants, sur la pelouse vert émeraude du Jabal Amel alors qu’un massacre allait se dérouler. A Maroun el-Rass, le 15 mai, dix manifestants ont été tués et cent-douze blessés par les tirs de l’armée israélienne. Les corps des jeunes shuhadaa’ (martyrs) étaient portés en martyrs par des chaînes humaines qui longeaient la montagne. Les blessés étaient conduits en urgence à l’hôpital de Bint Jbeil.

Témoins de cette scène macabre, une question occupait nos esprits : où se trouvaient les forces de la FINUL? Etablie suite à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Force intérimaire des Nations unies au Liban a pour mission le maintien de la paix au Liban-Sud et le soutien au gouvernement libanais pour restaurer son autorité effective dans la région. La FINUL a donc le devoir d’assurer la non-transgression de la Ligne bleue et la prévention des hostilités à la frontière. Pourtant, dimanche 15 mai, aucune force de l’ONU n’était présente à Maroun el-Rass.

Or, il semblerait que l’armée libanaise ait rassuré la FINUL avant le déroulement de la manifestation, affirmant qu’elle se chargerait de la sécurité du Sud en ce dimanche de mobilisation. En conséquence, la FINUL n’avait pas à assurer les questions sécuritaires. On peut reformuler la question: que faisait l’armée libanaise ? Dès le début, sa présence se limitait à une petite dizaine d’hommes qui ne prêtaient aucune attention à l’entrée des manifestants dans un terrain miné. Plus le nombre de protestataires à la frontière augmentait, moins l’armée semblait capable d empêcher la situation de dégénérer.

Assis sur la même pelouse nous étions témoins d’un drame de plus dans la mémoire palestinienne. D’un côté, l’armée israélienne utilisait des moyens démesurés pour éloigner les manifestants de leur terre natale, de l’autre, l’armée libanaise ne tenait pas ses engagements. Et les palestiniens ? Victimes.

Federica Pesce est étudiante de Sciences Po Paris, campus Moyen Orient Méditerranée, actuellement en échange à la Lebanese American University (LAU) de Beyrouth.

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Filed under Français, Lebanon & Syria, Palestine & Israel

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